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NIL YALTER : EXILE IS A HARD JOB

Clotilde Scordia

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Tout juste récompensée du Lion d’Or de la Biennale de Venise pour l’ensemble de sa carrière, (aux côtés d’Anna Maria Maiolino), Nil Yalter fait l’objet d’une exposition parisienne à la galerie Berthet-Aittouarès.

Sous un titre emprunté au poète turc Nazim Hikmet, “Exile is a hard job”, l’exposition a le mérite de parfaire la reconnaissance de l'œuvre de l’artiste en France où elle vit et travaille depuis 1965. En 1973, l’ARC, annexe pour l’art contemporain du musée d’Art moderne de la ville de Paris, lui consacre sa première exposition institutionnelle parisienne mais ce n’est qu’en 2016 que l’artiste bénéficie d’une première rétrospective en France, au FRAC Lorraine puis plus récemment en 2019 au MAC VAL. Il était temps !

 

Née au Caire en 1938 dans une famille turque, Nil Yalter n’arrive en Turquie qu’en 1942. Après ses études, elle se marie en 1958 avec le poète Théo Lésoualc’h et l’accompagne en Inde et en Iran avec qui elle prend part à des spectacles de danse, de théâtre et de pantomime. Revenue à Istanbul, elle entame une première carrière de peintre abstraite inspirée des avant-gardes du XXe siècle puis une seconde inspirée par le constructivisme russe. Bientôt elle s’intéresse aux nouveaux médias tels la vidéo, l’art numérique et les inclut dans ses œuvres, performances et installations.

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Vue de l'exposition Nil Yalter « Exile is a hard job » - Galerie Berthet Aittouarès. © Betrand Michau. Courtesy Galerie Berthet Aittouarès.

La galerie Berthet-Aittouarès présente 6 ensembles d’oeuvres extraites de son travail photographique et vidéo, des années 1970 à nos jours : Habitations provisoires (1974-1978), Exile is a hard job (1983-2017), La Tour de Babel (1979), La Femme sans tête (1974, vidéo de 24 mn) ; Regard de l’autre (1991) et La Tour de Beaubourg (1978).

 

Nil Yalter convoque l’ethnographie, la sociologie, le féminisme, la politique pour construire au fil des ans un œuvre radical, engagé et dénonciateur des inégalités des sociétés. À travers la photographie, la vidéo, la performance, l’écriture, la poésie, Nil Yalter transmet avec force son message aux spectateurs.

Nil Yalter, 1980, Bidonville Istanbul, photographie argentique d'époque, texte manuscrit à la mine de plomb, collages, objets © Betrand Michau. Courtesy Galerie Berthet Aittouarès.

Elle est l’une des premières artistes à s’intéresser aux conditions de vie et de travail des immigrés en France. En allant à la rencontre de la communauté turque en France, elle donne la parole à ces invisibles qui travaillent souvent dans la clandestinité. Tout immigré connaît la douleur de l’exil, la rencontre brutale avec une langue autre, une culture différente, l’incertitude d’un logement et d’un travail pérennes et l’incompréhension de deux univers qui se rencontrent. Exile is a hard job est un travail au long cours ; à Paris, Vienne, Madrid, Mumbai, elle demande aux habitants des quartiers populaires d’écrire dans leur langue la phrase du poète pour qu’enfin ils aient la parole. Exil is a hard job, C’est un dur métier que l’exil… se déploie sur des affiches sauvages collées dans la rue et interpelle les passants. 

 

Pour répondre à l’afflux de main-d’œuvre immigrée dans l’après-guerre puis le retour des Français d’Algérie après 1962, la France instaure à partir de cette époque la politique des villes nouvelles ; la construction de tours d’habitation sans âme et destinées à accueillir les familles immigrées participent de la paupérisation de ces communautés qui se retrouvent isolées d’un tissu urbain dynamique et fertile. Proche des milieux syndicaux, Nil Yalter est très tôt consciente que l’art doit s’engager à une époque de bouleversements sociopolitiques et économiques. 

Nil Yalter, The Headless Woman, 1974, vidéo en noir et blanc, EA 1 sur 1 © Nil Yalter. Courtesy Galerie Berthet Aittouarès.

Dans La Femme sans tête ou La Danse du ventre, filmée par son mari Joël Boutteville, l’artiste, dansant sur une musique tzigane, écrit sur son ventre nu un texte du philosophe René Nelli tiré d’Érotique et civilisations qui évoque le clitoris dont elle célèbre l’orgasme qu’il procure. Ici, elle dénonce le forçage de l’homme sur le corps des femmes à travers la pratique de l’excision, leur captation par la violence, la contrainte et les coutumes qui brident la jouissance féminine. Cette vidéo sera montrée lors de la première exposition majeure d’art vidéo en France en 1974, « Art Vidéo Confrontation », à l’ARC. 

 

En artiste pionnière de l’intersectionnalité, l'œuvre de Nil Yalter apparaît toujours plus juste et percutante. Une exposition nécessaire.  

 

Nil Yalter, Exile is a hard job .

Exposition à la galerie Berthet-Aittouarès jusqu’au 16 décembre.

 

Image de couverture : Nil Yalter, Habitations provisoires - Paris, New York, Istanbul, 1977, photographies argentiques contrecollées sur carton © Betrand Michau, courtesy Galerie Berthet Aittouarès.

 

Clotilde Scordia

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