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18 juillet 2025

​Germano D'Acquisto

La photographie militante de Letizia Battaglia à Arles

La vie, celle avec les rides, la poussière, les vraies larmes et les sourires sans artifice, Letizia l'a poursuivie tout au long de sa carrière, avec un Leica dans son sac et une urgence dans le regard.

Si la photographie est une forme de militantisme, Letizia Battaglia en a été la gentille commandante. Gentille, oui, mais seulement dans le sens le plus incendiaire du terme. Aux Rencontres d'Arles, qui font de la photographie une religion laïque et un pèlerinage intellectuel, arrive enfin l'exposition qui lui était due : J'ai toujours cherché la vie. Et la vie, celle avec les rides, la poussière, les vraies larmes et les sourires sans artifice, Letizia l'a poursuivie tout au long de sa carrière, avec un Leica dans son sac et une urgence dans le regard.


La rétrospective, du 7 juillet au 5 octobre, organisée avec rigueur et grâce par Walter Guadagnini, est un voyage dans le temps et dans l'espace, mais sans aucune nostalgie. Les plus de cent œuvres - photographies, couvertures de magazines, publications, notes - proviennent des archives Letizia Battaglia, une sorte de caverne oraculaire où les faits divers se mêlent à l'épopée civile, et où les petites filles siciliennes deviennent plus puissantes que mille éditoriaux.

Palerme est bien sûr au cœur de ce récit. Mais pas la Palerme des cartes postales, faite de folklore et de stéréotypes à l'exportation : sa Palerme est viscérale, ambivalente, merveilleusement imparfaite. Letizia y retourne dans les années 70, alors qu'elle aurait pu continuer tranquillement à écrire sur le sexe et la société pour un magazine progressiste de Milan. Mais non : elle choisit de rester là où ça fait mal. Là où les rues parlent un langage dur et sincère. Là où chaque photographie est un témoignage, et chaque jour un défi au silence.


Travaillant pour L'Ora, le seul quotidien qui, à l'époque, s'obstinait à appeler la mafia par son nom, Battaglia immortalise les cadavres gisant sur le sol, certes, mais aussi les visages qui restent : ceux des mères, des sœurs, des enfants, des policiers, des processions religieuses, des créatures inquiètes d'un hôpital psychiatrique. C'est une photographie qui ne console pas, mais qui ne condamne pas non plus. Elle regarde. Et nous demande de faire de même.

Arrestation du féroce chef mafieux Leoluca Bagarella, Palerme 1979.

Photographie Letizia Battaglia ©Archivio Letizia Battaglia

Le paradoxe, qui est aussi le secret de sa grandeur, c'est que Letizia Battaglia n'a jamais voulu « faire de l'art ». Et c'est précisément pour cela qu'elle y est parvenue. Ses images ne recherchent pas la composition parfaite, mais la vérité — qui, comme Pasolini le savait bien, est toujours imparfaite, dérangeante, tranchante.


Et si Arles la célèbre aujourd'hui, ce n'est pas seulement parce que Letizia est devenue une icône (un mot qu'elle aurait probablement détesté), mais parce qu'elle a su rester irréductiblement elle-même. Même lorsqu'elle s'est ouverte au monde : l'Islande, la Russie, les États-Unis. Partout où elle allait, elle emportait avec elle son regard palermitain, c'est-à-dire cette capacité qui lui est propre de voir le pouvoir et ses effets, de lire la douleur sans la spectaculiser.


Et puis, il y avait aussi la Letizia politique, celle qui se présentait aux élections, fondait des magazines, publiait des livres, rêvait de révolutions. Une femme en désaccord perpétuel avec les convenances, et en accord profond avec la vie. Qui ne photographiait pas seulement pour se souvenir, mais pour remettre en question.

À une époque où tout est storytelling et où chaque cliché est filtré pour plaire à l'algorithme, Letizia Battaglia nous rappelle que la photographie peut encore être un geste radical. Qu'elle peut nous dire qui nous sommes. Et qu'elle peut le faire sans lumières tamisées, sans hashtags, sans s'excuser. Arles, qui a fait de la lumière un métier, accueille aujourd'hui une femme qui a surtout photographié les ombres. Et elle l'a fait avec un regard plein, politique, irréductiblement féminin. Et, chose très rare aujourd'hui, un regard qui continue à demander à la photographie d'être la vie. Rien d'autre. Mais aussi rien de moins.

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